Ville innovante

Tours, ville universitaire de culture et d’innovation, s’ouvre sur de toutes nouvelles perspectives économiques. Les défis à relever sont grands, les obstacles sont là mais les forces, aussi. Revue des troupes.

« Il faut innover. » La formule, souvent prononcée, est magique car en France, elle suscite un consensus immédiat. Pourtant, des divergences a priori irréductibles surgissent dès lors que de l’incantation il faut passer à la fabrication de la potion pour redonner au pays la robustesse d’Obélix, « porteur de valeurs humanistes », pour les uns, « lourd comme l’administration » pour les autres, « délocalisable en Belgique » pour les plus polémistes. Et à Tours ?

Les atouts sont légions

Du temps où Tours s’appelait encore Caesarodonum (« la colline de César »), son amphithéâtre était l’un des cinq plus grands de l’Empire. 2000 ans plus tard, rue des Ursulines, les vestiges du castrum font échos à de nouveaux remparts qui, brique par brique, s'élèvent contre la concurrence et pour un choc de compétitivité. Le secteur des biomédicaments est devenu pour Tours, à la longue tradition médicale, l'axe majeur de son développement futur.

La stratégie tourangelle emprunte à l’infanterie romaine son déploiement en trois lignes :

  • Aux avant-postes, ses spécialistes de l’infiniment petit et des anticorps thérapeutiques et technologies associées : les équipes des professeur Hervé Watier en immunologie, Denis Guilloteau en imagerie et Marie-Claude Viaud en pharmacologie.

  • Au nord, la plateforme technologique CERTEMPlus convainc le gros employeur STmicroelectronics qu’il est à Tours au bon endroit : dans 2000 m2 de salles blanches sont dévolues à des programmes R&D sur de nouveaux systèmes d’économie d’énergie, ses propres chercheurs et ceux de l’université mutualiseront outils et connaissances. Le laboratoire mixte CEROC analyse et modifie les propriétés mécaniques des matériaux et suit la même logique. Avec pour partenaire Safety-Sandvik, fabricant mondial d’outils coupants et la recherche universitaire, les travaux innovants du CEROC ouvrent sur de nouveaux marchés (aéronautique ou conception de prothèses biomécaniques, par exemple). Au sud, le laboratoire d’informatique basé à Polytech’Tours s’est rapproché du groupe tourangeau Cyrès et sa start-up Ingensi, elle-même associée à Dell et Renault innovation. La gestion d’immense flux d'informations (« big data ») grâce à des serveurs et des programmes dédiés, devient, pour l’avenir une source d’emplois tout sauf virtuelle (à l’instar de Google).

  • Enfin, les vétérans du patrimoine couvrent les arrières, fortifiés par la réputation du Centre d’Etudes Supérieures de la Renaissance et ragaillardis par le jeune Institut européen d'histoire et des cultures de l'alimentation, qui en bord de Loire, charrie l’idée forte de sauvegarde.

Des obstacles à franchir

En 1976, à Tours, Philippe Maupas mettait au point le premier vaccin contre l’hépatite B ; en 2012, Philippe Roingeard est prêt de découvrir un vaccin protégeant indifféremment contre l’hépatite B et l’hépatite C et la communauté scientifique salue l’avancée réalisée mais si ces découvertes sont positives pour l’image de marque de l’université et pour séduire les investisseurs privés, elles terminent trop souvent dans le portefeuille de laboratoires étrangers.

Pascal Breton est le premier à le regretter. Sa jeune entreprise de biotechs VitamFero vient de déposer deux brevets pour protéger commercialement deux vaccins vétérinaires mis au point par ses équipes dirigées par Edouard Sèche, l’un limitant les avortements d’animaux d’élevage atteint de néosporose (apparentée à la toxoplasmose), l’autre prévenant les pertes des nouveau-nés, fréquentes dans les élevages, contaminés par la crypotosporodiose.

Pas de mystère pour lui, « le nerf de la guerre, c’est l’argent. » Pour développer un produit innovant, « très coûteux dans le domaine de la santé », avant de galérer à lever des fonds, il faut déjà se constituer en société. De nombreuses sources de financements interviennent et c’est heureux : La DRI, OSEO, l'incubateur régional LANCEO, l’ARITT, le FEDER…, mais selon Pascal Breton, ce « mille-feuille » révèle aussi le drame français : face à des remparts de papiers, « le chercheur, comme n’importe qui, a la tête qui tourne. Par où commencer ? N’est-ce pas plus simple de devenir enseignant-chercheur ? » Et l’envie de créer est tuée dans l’œuf… Pour autant, « eu égard le contexte économique, l’argent public alloué à ses recherches futures devra, à un moment donné, être rendu à la communauté.» Diplômé de Polytech’Tours, Christophe Cerqueira, qui après un an d’activité à la tête d’Ingensi va doubler ses effectifs, emploie des doctorants : « Il faut aller les chercher, convient cet ancien de François-Rabelais. Au contraire des chercheurs purs, les diplômés des grandes écoles sont calibrés pour passer de la théorie à la pratique. Ils forment une élite alors que ce profil devrait être la norme. »

Consciente de ces icebergs administratifs et culturels, l’université et ses nombreux réseaux redressent la barre autant que faire ce peut et réalise un gros travail d’accompagnement. Ainsi, la faculté de pharmacie héberge VitamFero et a permis à Christophe Cerqueira, par le biais de son service valorisation « de rapidement mettre en adéquation (son) projet sur la big data et les cahiers des charges très contraignants des fonds européens FEDER. »

Start-up exemplaire

Avec trois brevets dans son portefeuille, Marie-Christine Maurel, présidente de « ReproPharm » créée en 2009, développe avec l’INRA des produits permettant de mieux maîtriser la reproduction animale : « Être entrepreneur, tranche-t-elle, ça ne se décrète pas, c’est une vocation mais sans l'appui de l'INRA, d'INRA-Transfert, de l'incubateur Lancéo et d'Oséo Innovation, je n'aurais pas pu me lancer, bien coachée par l'ARITT Centre. En revanche, pour lever des fonds une fois lancé, on est seul. Mieux vaut avoir le tempérament du combattant et dans ses cartons un produit rapidement commercialisable. » Tel son test d'ovulation pour bovins. « Notre gros avantage, précise-t-elle enfin, est de disposer déjà d’un service marketing. » Guillaume Deschard le dirige : « Nous devons convaincre les agriculteurs et vétérinaires d’adopter un produit innovant et qui, par nature, rompt avec leurs propres pratiques. Passée leur appréhension et reconnue l’efficacité de nos produits, un réseau clientèle international se construit. C’est le point de départ d’un cercle vertueux. »

Aujourd’hui, une pépinière dédiée aux biotechs est très attendue. D’autres débouchés professionnels seraient offerts aux étudiants (et de nombreux emplois techniques ne nécessitant pas Bac +8). Dans la lignée des investissements de Tour(s)plus dans CERTEM Plus ou dans le CEROC, la volonté d’aider à la recomposition du tissu industriel est à la hauteur des enjeux. Franck Teston : « La création des Sociétés d’accélération des transferts de technologie (SATT), actée par le Premier ministre, est une étape décisive. Une antenne de la SATT Grand Centre s’installera sur le site du Plat d’Etain à Tours, orientée vers l’innovation thérapeutique et diagnostique. Au plus près des chercheurs, elle conseillera et financera le dépôt des brevets et leurs maturations technologiques. » Deux millions d'euros seront injectés en région chaque année, sept fois plus d’argent qu’hier. Objectif sur 10 ans : l’émergence d’entreprises innovantes et la revente de licences d’exploitation à des partenaires industriels.

Bio3 InstituteVoir l'image en grandToujours sur le même site, le Bio3 Institute, soutenu par Tour(s)plus, catapulte un même message : « Autour des biomédicaments, des bioactifs cosmétiques, et des biotechs, cette nouvelle plateforme d’enseignement (avec l’Institut des Métiers et des Technologies - IMT) et de recherches dotée d’outils de pointe devra capter l’attention des gros investisseurs privés ou capital-risqueurs. » Pour l’anecdote, un plat d’étain, pour qui l’ignore, est historiquement une figurine militaire, spécialité des fondeurs allemands. Voilà qui renseigne sur la posture de combat à adopter.

A l’heure des vaches maigres, le profil visionnaire d’un docteur Chaumier, qui au début du XXe produisait au Château du Plessis son vaccin contre la variole, prouve par ailleurs qu’« il y a aussi, tout près de chez nous et dans notre passé récent, rappelle l’immunologiste Hervé Watier, des sources d’inspiration pour l’avenir, une légitimité historique et des positions à réaffirmer ». Choc de compétitivité et… choc culturel : tout chercheur devra pouvoir, demain, se rêver, non en fondeur allemand, mais en « founder », mot qui imbrique « trouveur » et créateur d’entreprise. Pour que cet anglicisme intègre notre culture latine, des barrières psychologiques et idéologiques devront tomber. Cette révolution a déjà commencé car l’université augmente sensiblement le nombre de brevets déposés. Sorti de l’amphithéâtre du XXIe siècle, il n’est guère d’autres choix, « nom de Zeus ! »