jean pierre danguillaume
© K. Ayeb

Rencontre avec Jean-Pierre Danguillaume

Le Jocondien, qui a fêté son 75e anniversaire le 25 mai, a gagné sept étapes du Tour de France entre 1970 et 1978 sous les couleurs de l’équipe Peugeot.

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Le 17 juillet 1970, dans l’étape Ruffec-Tours, vous tentez de prendre la tête à huit reprises. Cette victoire à domicile, vous la vouliez vraiment…

Le 17 juillet, la dernière attaque que j’ai faite c’est en sortant de Veigné. À cette époque on ne montait pas la côte de Crochu à Joué-lès-Tours, que tous les cyclistes connaissent. J’ai fait une échappée avec Johny Schleck, le papa d’Andy Schleck, qui a gagné le Tour de France en 2010, et un Hollandais. On s’est fait rejoindre en descendant sur Saint-Avertin. Ensuite, j’ai été engouffré par le peloton et c’était fini. Bien-sûr j’aurais aimé gagné à Tours…

Ce 17 juillet, le soir, vous êtes à l’hôtel à Tours. Vous êtes tellement énervé de ne pas avoir gagné à domicile, que vous tournez en rond dans votre hôtel…

Oui j’ai tourné en rond… à pied. Ma femme est venue me voir à l’hôtel des Trois Rivières à Tours. Les femmes des coureurs n’avaient pas le droit de monter dans nos chambres. Ma femme, je ne la voyais quasiment jamais car on n’avait pas forcément les moyens. Elle est venue me voir dans le porche d’entrée de l’hôtel avec mon fils qui devait avoir dans les 2 mois et demi. Même lors de l’arrivée à Tours, je n’ai pas dormi chez moi, je suis resté à l’hôtel avec l’équipe.

Ce que vous ne gagnez pas à la Vallée du Cher, vous le remportez le lendemain dans l’étape Tours-Versailles.

On est arrivé dans la Vallée de Chevreuse avec des côtes qui me convenaient. Je me suis échappé avec un Italien puis 4 ou 5 gars sont venus nous rejoindre. En arrivant à Versailles, à 2 km de l’arrivée, on se fait rejoindre par le peloton. Là, je n’attends pas car je me dis que je vais être encore battu. Ça va être une arrivée au sprint sur une piste d’athlétisme cendrée. Je suis rentré avec 50 m d’avance et j’ai gagné avec 10 m d’avance. C’était l’apothéose ! On ne gagnait pas cher par mois à l’époque. Quand on gagnait une étape, on faisait la tournée des criteriums après le Tour de France. Tous les jours, on participait à un criterium et on était rémunéré au cachet. Et c’était là qu’on faisait vraiment notre beurre. Ma maison, je l’ai payée comme ça, petit à petit.

Vous gagnez à Versailles, le jour de la Saint-Camille, un jour très particulier pour vous…

Exact ! Camille Danguillaume [professionnel de 1942 à 1950. Il a donné son nom à une rue près du stade de la Vallée du Cher NDLR], mon oncle et parrain, est décédé quand j’avais 4 ans. Il a été renversé par une moto au championnat de France en 1950 à Monthléry. Sa fille, qui n’a jamais connu son père car elle avait deux mois quand il est mort, est présente à mon arrivée. Et je lui remets mon bouquet. Ma femme, qui a un accrochage avec sa voiture sur la route, me rejoint plus tard dans la soirée.

Dans un col, je loupe un virage et je fonce sur une famille en train de pique-niquer

Le 16 juillet 1971, vous arrivez premier dans l’étape Bordeaux-Poitiers. Encore un moment fort…

À mon arrivée à Poitiers, c’est le photographe de la Nouvelle République, Gérard Proust, qui me pose mon fils dans les bras et fait la célèbre photo. Mon fils a alors plus d’un an. C’est la première fois depuis le départ du Tour [le 26 juin à Mulhouse NDLR] que je vois ma femme. Je gagne cette étape à Poitiers, qui n’est pas une petite étape : 250 bornes quand même ! C’est un moment inoubliable ! Je gagne sur une piste en tartan, en dur. J’embrasse ma femme, elle pleure et me dit : il ne nous reste plus de 54 francs sur le compte en banque et on doit 4 000 francs au maçon. Je faisais construire ma maison à Joué-lès-Tours. Je lui ai dit : ne t’inquiète pas, dans cinq jours le maçon sera payé ! Je fais le tour d’honneur… et mon fils me fait pipi dessus. Quarante ans plus tard, au départ de Tour de France, mon fils qui travaillait chez ASO, m’a pris dans ses bras et on a refait la même photo !

Malheureusement, j’ai eu un incendie dans ma maison en 2017 et j’ai perdu beaucoup de photos et de souvenirs. Après ma victoire à Poitiers, je suis assis dans l’herbe devant l’hôtel et là, mon fils se met à marcher pour la première fois. Cette année-là, je fais vraiment un beau de Tour de France. Je suis 18e au classement général. J’ai fait une chute dans les Alpes qui m’a abîmé les vertèbres et je suis persuadé que j’aurais pu finir dans les dix premiers. Dans un col, je loupe un virage et je fonce sur une famille en train de pique-niquer. Je suis tombé sur un gamin. J’ai vraiment cru que je lui avais fait mal car il criait. C’était dans une grande étape que Luis Ocana avait gagnée devant Merckx. Je suis reparti mais j’avais mal au dos. On n’avait pas les ostéopathes et les kinés comme maintenant. J’ai une grande admiration pour les types qui faisaient le Tour de France de 1903, sans soigneurs avec des étapes de 500 km et des vélos de 15 kg !

En 1972, ce n’est pas une super édition pour vous…

Non, je passe complètement à côté. Ça ne rigole pas ! Je ne roule pas trop mal, je termine 21e du classement général.

Ocana gagne le Tour sur un vélo en titane. Le titane c’est pour les avions à réaction

Le 6 juillet 1973, vous remportez l’étape Belfort-Divonne.

On montait le col de la Faucille dans l’autre sens. On descendait sur Gex… En géographie, je ne suis pas trop mal ! [rires] A une dizaine de kilomètres, je suis dans la roue d’un copain de l’équipe Peugeot. Je lui dis : Robert, je la sens bien, remonte-moi devant, je vais gagner. C’est dingue, ça ! Parfois on sent les choses. À environ 1,5 km de l’arrivée, paf ! Il y a un ralentissement. Je flingue, je prends 100 mètres et je gagne devant le Belge Walter Godefroot. L’Espagnol Ocana gagne le Tour sur un vélo en titane. Le titane, c’était pour les avions à réaction. Il fallait trouver les mecs qui savaient souder le titane pour faire un vélo ! Mon vélo faisait 9 kg et le sien devait faire 1,5 kg de moins. Mais bon, léger ou pas léger, quand on n’a pas les jambes, c’est pareil. Chez Peugeot, on roulait sur du matériel français sauf les pédaliers anglais.

Justement, en 1974, la production française de vélos bat un record avec 2,46 millions d’unité vendues. C’est un très beau Tour de France pour vous cette année-là. Le 16 juillet, vous distancez Merckx sur les pentes du Tourmalet.

C’est mon meilleur souvenir du Tour de France. Je gagne le 16 devant Poulidor et je fais 100 km tout seul ! J’avais des petits problèmes de foie dans les Pyrénées quelques jours avant, à cause de la chaleur. L’étape entre l’Espagne et Saint-Lary est remportée la veille par Poulidor et je dois faire dans les 20e. L’étape du lendemain est très courte et il y a un risque d’élimination. Plus l’étape est courte, plus c’est dangereux. ! On a beau avoir bac moins 5 mais on sait compter quand il s’agit du chrono ! [rires] J’ai attaqué dans le col d’Aspin… On nous dit : on prend les impers car il tombe de l’eau de l’autre côté. Je décide de ne pas prendre d’imper, je le reprendrai plus tard… Et je remonte dans les dix premiers. Je flingue et je me dis je vais passer en tête du col d’Aspin, comme ça RTL et Europe 1 parleront de Danguillaume et il y a une petite prime. C’est toujours important d’éviter de faire le Tour de France sans qu’on parle de vous. Il y a des gars, c’était des suiveurs, on n’a jamais su qu’ils avaient fait le Tour de France. Moi, j’étais un flingueur ! Merckx fait monter ses gars. Là, je me suis dit : je ne sais pas comment je vais tenir jusqu’en haut mais je m’en fous, j’y vais ! J’ai une minute d’avance en bas du col d’Aspin. Il se met à pleuvoir. Les gars s’arrêtent tous aux voitures pour prendre les impers. J’aperçois l’ardoise au bord de la route : j’ai 5 mn d’avance. En passant Lourdes, au pied du Tourmalet, j’avais 8 mn d’avance. Il reste 21 km. Je monte, je n’ai pas mal aux pattes… Et là, un brouillard à ne plus voir devant soi. Le gars avec l’ardoise est parti et je ne suis plus renseigné. Pas de télé, pas d’hélicoptère, plus rien du tout ! Je fais une échappée de 100 bornes, je passe totalement inaperçu. Je suis filmé dans les 250 derniers mètres quand je m’écroule dans les balustrades mais je gagne avec 2mn30 d’avance sur Poulidor.

C’est la première fois qu’un coureur français remporte le Tourmalet dans les deux sens… et c’est Poulidor qui fait la Une de l’Équipe, j’étais vert !

Le lendemain, le 17 juillet, vous enlevez l’étape entre Bagnères-de-Bigorrre et Pau.

Je me suis dit : allez je fais l’étape ! Mon directeur sportif, Gaston Plaud [Décédé à 98 ans en 2018, il fut licencié du VC Tours et fit les beaux jours du vélodrome de Tours. Il fut directeur sportif de l’équipe Peugeot-BP de 1958 à 1974, NDLR] me dit : après le numéro que tu as fait hier soir, Jean-Pierre, tu vas avoir mal aux pattes, rentre tranquillement à Pau… Je lui ai répondu : préparez-moi deux bidons d’aliments. Je vais voir le mécano et je le préviens : si je suis dans le coup, prépare-moi une roue avec des braquets de plaine. Au lieu d’avoir du deux par deux, tu me mets tout à suivre. À l’époque, on n’avait que 6 vitesses. Je pars, je vois basculer le Tourmalet. Je fais une descente de malade, j’arrive à la voiture et je prends mes deux bidons d’aliments. À l’époque, on prenait de la nourriture pour bébé avec du sucre. Le ravitaillement était plus loin à Argelès-Gazost et pendant que les gars prenaient leur musette, moi je n’ai pas pris la mienne. J’ai pris 1mn30 d’avance. J’étais dans un jour faste. C’est la première fois dans l’Histoire du Tour qu’un coureur français remporte le Tourmalet dans les deux sens… et c’est Poulidor qui fait la première page de l’Equipe ! Toute la première page ! Ils ont parlé de moi en tout petit en écrivant : …dans l’étape gagnée par Jean-Pierre Danguillaume. J’étais vert !

Le 15 juillet 1975, vous abandonnez dans la 17e étape entre Valloire et Avoriaz. Mauvaise année ?

Non, pas mauvaise car Bernard Thévenet de l’équipe Peugeot gagne [devant Merckx sur une arrivée sur les Champs-Élysées, une première NDLR] et on a fait le boulot. Je tombe malade à 4-5 jours de l’arrivée. Je n’avais plus que huit et demi de tension. J’étais usé. Mon poids de forme était à 72 kg et j’étais rendu à 68 kg. C’est mon pire souvenir car je n’arrive pas sur les Champs-Élysées. Mais un mois et demi après, je fais 3e des championnats du monde [sur route en Belgique NDLR].

Pour la 63 édition du Tour, en 1976, c’est dur… Vous êtes 22e sans victoire d’étape.

Oui, pas bon, pas le moral dans l’équipe et Thévenet, malade, abandonne. Et pour son dernier Tour de France, Raymond Poulidor monte sur le podium derrière le Belge Lucien Van Impe et le néerlandais Joop Zoetemelk. Le premier coureur de l’équipe Peugeot-Esso-Michelin, c’est Raymond Delisle, 4e.

En 1977, vous vous classez 35e au classement général et vous remportez deux étapes le 12 juillet entre Rouen et Roubaix et le 16 juillet entre Altkirch et Besançon.

On fait le boulot car on gagne cinq étapes avec les Peugeot. Cette année-là on fait un tabac ! Bernard Thévenet maillot jaune, Jacques Esclassan maillot vert [meilleur au classement par points NDLR]. On fait 2e du classement par équipe. Là, on a gagné un peu de sous ! Merckx fait 7e [c’est son dernier Tour de France NDLR].

En 1978, vous abandonnez le 18 juillet dans l’étape Grenoble-Morzine.

Je tombe à Saint-Germain-en-Laye à 1 km de l’arrivée sur un passage piéton glissant à cause de la pluie. Peinture mouillée, virage… fuitshhh ! Trottoir ! Ensuite, je suis 4e au classement général jusqu’à Biarritz. J’ai des problèmes de dos et je traîne ma misère. Thévenet, malade, abandonne. Moral dans les chaussettes. Bernard Hinault, pour sa première participation, domine le Tour. Le 2e, c’est Zoetemelk.

Cette année-là, les coureurs font grève et passent la ligne d’arrivée à pied à Valence d’Agen le 12 juillet. Que s’est-il passé ?

J’étais un peu dedans [rires]. La veille, le 11 juillet 1978, on devait arriver à Saint-Lary-Soulan. Aujourd’hui, c’est super bien organisé après la course. Il y a des bus pour les coureurs. La caravane publicitaire et le public sont bloqués tant que les coureurs ne sont pas évacués vers leur hôtel. En 1978, nous sommes restés coincés dans les bouchons et nous sommes arrivés dans les hôtels à Tarbes à 23h, pas lavés, pas changés, pas massés, pas nourris… Le lendemain matin, on a deux étapes dans la journée : Tarbes-Valence d’Agen et Valence d’Agen-Toulouse. Il y a 180 km entre les deux villes. Donc il fallait qu’on se relève à 5h du matin. Les boules ! Avec les vieux guerriers comme moi, les Karstens, Martens, Sibille… on se dit : ça ne va pas ! On roule à 15 km/h dès le départ. Il y a bien deux trois espagnols qui veulent passer devant mais on les met de côté, on les fout dans le fossé. Jacques Goddet [directeur du Tour de 1936 à 1987 NDLR] vient nous voir et nous dit : en dessous de 28 km/h, vous ne toucherez pas vos primes. On s’en fout, on était en colère ! A 400 m de la ligne, on décide de descendre du vélo et de marcher. Je m’en rappellerai toujours. Le Maire de Valence-d’Agen fonce vers Bernard Hinault qui ne décroche pas un mot. Dans l’après-midi, on n’avait pas droit aux hôtels car il fallait enchaîner sur l’étape vers Toulouse. On s’est retrouvé dans une cour d’école sous les préaux. Bernard Hinault était en colère, il attaque dès le départ. On a fait l’étape à une vitesse ! C’est Jacques Esclassan qui gagne l’étape à Toulouse. Des grèves, on en a vu d’autres. C’est mon dernier Tour de France. J’arrête car je n’ai plus le moral et j’ai mal au dos.

Le passage du Tour de France à Tours :

  • 20 juillet 1903 : Nantes-Paris (contrôle à Tours)
  • 23 juillet 1904 : Nantes-Paris (contrôle à Tours)
  • 29 juillet 1955 : Châtellerault-Tours
  • 30 juillet 1955 : Tours-Paris
  • 19 juillet 1957 : Libourne-Tours
  • 20 juillet 1957 : Tours-Paris
  • 15 juillet 1961 : Périgueux-Tours
  • 16 juillet 1961 : Tours-Paris
  • 17 juillet 1970 : Ruffec-Tours
  • 18 juillet 1970 : Tours-Versailles
  • 23 juillet 1992 : Montluçon-Tours
  • 24 juillet 1992 : Tours-Blois
  • 06 juillet 2000 : Vitré-Tours
  • 07 juillet 2000 : Tours-Limoges
  • 04 juillet 2005 : La Châtaigneraie-Tours
  • 05 juillet 2005 : Tours-Blois
  • 11 juillet 2013 : Fougères-Tours
  • 12 juillet 2013 : Tours- Saint-Amand-Montrond
  • 1er juillet 2021 : Tours-Châteauroux

Jean-Pierre Danguillaume a poursuivi sa carrière comme directeur sportif chez Mercier et comme chef de projet jusqu’en 2004 pour une grande marque de boisson gazeuse, sponsor officiel du Tour de France.

On le retrouve régulièrement dans le village du Tour avec les anciens champions. En 2000, pour son départ symbolique pour son 30e Tour de France à Tours, le directeur du Tour Jean Marie-Leblanc lui remet le « plateau de la reconnaissance », le 6 juillet.

Cette année-là, la médaille de la reconnaissance est également remise à Marcel Reverdy, 86 ans, qui avait émis le vœu que le Tour revienne en Touraine « avant que Dieu ne lui ferme les yeux ». Marcel Reverdy (1914-2015) a consacré sa vie au cyclisme, comme coureur, entraîneur et speaker (vingt ans sur le vélo, cinquante ans derrière le micro).

Retrouvez l’histoire du Tour de France à Tours dans Tours Mag n°206 (mai-juin 2021).
Pour tout savoir sur le passage du Tour de France à Tours le 1er juillet prochain, rendez-vous sur le site officiel : https://www.letour.fr/fr/etape-6
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